Abstract
Original language | French |
---|---|
Title of host publication | Revue du MAUSS |
Editors | I. Silber |
Publisher | cairn |
Pages | 39-56 |
Volume | 27 |
ISBN (Print) | 9782707148971 |
State | Published - 2006 |
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Revue du MAUSS. ed. / I. Silber. Vol. 27 cairn, 2006. p. 39-56.
Research output: Chapter in Book/Report/Conference proceeding › Chapter › peer-review
TY - CHAP
T1 - Prologue: Sortilèges et paradoxes du don
AU - Silber, I.
PY - 2006
Y1 - 2006
N2 - Quatre-vingts ans après sa première publication, l'Essai sur le don de Marcel Mauss [2][2] L'Essai a tout d'abord été publié dans l'Année Sociologique,... (ED), toujours amplement et dûment cité par son public le plus traditionnel et le plus évident – celui des anthropologues qui étudient les structures du don/contre-don dans divers contextes culturels –, connaît actuellement un regain d'intérêt tout à fait spectaculaire qui affecte tout le champ des sciences humaines et sociales [3][3] Cela est notamment évident dans la publication d'ouvrages... . S'il fallait une preuve supplémentaire de son statut de grand « classique », on la trouverait dans le fait qu'il ne se borne pas à alimenter la réflexion sur le don, aujourd'hui encore, dans diverses disciplines, mais qu'il est revendiqué comme une source d'inspiration majeure par une impressionnante série de courants théoriques de portée plus générale, par ailleurs souvent opposés : depuis Bataille et les autres membres de l'éphémère Collège de sociologie jusqu'à Lévi-Strauss, Dumont, Bourdieu et Baudrillard, en passant par les diverses branches de la théorie de l'échange social, de l'interactionnisme symbolique, de l'anti-utilitarisme et de l'anthropologie économique néomarxiste. 2 D'où vient donc, pour paraphraser Lévi-Strauss, le pouvoir extraordinaire de ces pages désordonnées, où se juxtaposent de façon si curieuse et chaotique les notations impressionnistes, un appareil critique imposant et une vaste érudition, familière des périodes historiques et des civilisations les plus diverses ? 3 Pour Lévi-Strauss, ce qui faisait battre plus vite le cœur du lecteur de l'Essai, c'était « la certitude, encore indéfinissable, mais impérieuse, d'assister à un événement décisif de l'évolution scientifique ». En l'occurrence, et à l'en croire, à l'appréhension première, malheureusement restée inachevée chez Mauss lui-même, de la variante lévi-straussienne du structuralisme symbolique. Dans cette perspective, le don – et plus particulièrement le don des femmes auquel Lévi-Strauss attribue une importance fondatrice – devient partie et fragment d'un ensemble plus vaste, englobant et inconscient, le système de l'échange généralisé, qui possède ses propres lois, bien définissables, de combinaison et de transformation. 4 Mais ce n'est là qu'une des lectures possibles – et très controversée – d'un texte dont d'autres jugent que l'étonnante fécondité résulte bien au contraire, et de manière paradoxale, de son caractère fortement impressionniste, inachevé et non systématique. C'est lui qui permet au lecteur de projeter les lectures et les interprétations les plus variées. Pour dire la même chose en termes plus positifs et moins indéfinis, il est bien possible que ce qui a le plus contribué à l'influence durable et protéiforme de l'Essai tienne au fait qu'il présente un mélange éclectique de préoccupations empiriques, théoriques, éthiques et même politiques – ce qui autorise des publics très divers à se focaliser sur les aspects du texte les mieux adaptés à leurs propres préoccupations. 5 Certains des thèmes éthico-politiques – par exemple, dans le chapitre final, l'appel à une reviviscence du don et de l'aide mutuelle au sein des sociétés modernes – doivent être replacés dans le contexte des engagements idéologiques de Mauss en son temps : la recherche d'une troisième voie entre communisme et capitalisme, la méfiance envers un communisme ou un socialisme imposé par l'état, le militantisme en faveur d'un socialisme associationniste partant de la base et privilégiant les initiatives, grass-roots dirait-on aujourd'hui [4][4] Pour une interprétation de l'Essai sur le don comme.... Mais il se trouve qu'un tel plaidoyer pour le « retour au don » résonne étrangement bien aujourd'hui encore, où la régression de l'état-providence et l'expansion galopante des idéologies et des régimes néolibéraux alimentent la quête de nouvelles formes de société civile et de philanthropie. 6 Au plan empirique, l'Essai accrédite le sentiment éprouvé par Mauss d'avoir réalisé une découverte fondamentale et d'avoir exhumé, à travers le don, un des fondements les plus essentiels ou, dans ses propres termes, un des « rocs » sur lesquels nos sociétés sont édifiées : « une forme nécessaire de l'échange, de la division du travail elle-même », impulsée par une séquence – voire par une sorte de mécanisme implacable et autoalimenté – de trois obligations (l'obligation de donner, de recevoir et de rendre). Loin d'accorder autant d'attention à chacune de ces trois obligations, Mauss fait de la troisième son objet central, ce qui lui permet, précisément, de replacer les actes de don séparés dans des séquences de don-échange plus vastes plutôt que d'en rester au don/contre-don « tout court [5][5] En français dans le texte (ndt). » 7 Cet accent important placé sur l'obligation, et même la triple obligation, qui commande le don semble situer clairement l'Essai au cœur de l'orthodoxie durkheimienne – pour qui l'une des propriétés cardinales des faits sociaux réside justement dans cette dimension d'obligation, dans leur capacité à s'imposer d'eux-mêmes et à obliger (également en ceci qu'ils éveillent identification et engagement). Mais la réinscription du don dans un modèle englobant de l'échange-don, permise par l'introduction de l'obligation de rendre, explique pourquoi nombre de lecteurs y voient une simple manière – de bon sens – de subsumer le don dans les processus de la réciprocité et de l'échange, voire dans un échange de type utilitariste et intéressé. 8 Pourtant, dès le début – et c'est sans doute là que réside le secret de son impact durable –, le texte de Mauss nous plonge dans un océan d'intuitions paradoxales, de complexités et de tensions irrésolues qui constituent autant de défis non seulement pour le sens commun mais aussi pour les catégories durkheimiennes dominantes de l'analyse sociologique.
AB - Quatre-vingts ans après sa première publication, l'Essai sur le don de Marcel Mauss [2][2] L'Essai a tout d'abord été publié dans l'Année Sociologique,... (ED), toujours amplement et dûment cité par son public le plus traditionnel et le plus évident – celui des anthropologues qui étudient les structures du don/contre-don dans divers contextes culturels –, connaît actuellement un regain d'intérêt tout à fait spectaculaire qui affecte tout le champ des sciences humaines et sociales [3][3] Cela est notamment évident dans la publication d'ouvrages... . S'il fallait une preuve supplémentaire de son statut de grand « classique », on la trouverait dans le fait qu'il ne se borne pas à alimenter la réflexion sur le don, aujourd'hui encore, dans diverses disciplines, mais qu'il est revendiqué comme une source d'inspiration majeure par une impressionnante série de courants théoriques de portée plus générale, par ailleurs souvent opposés : depuis Bataille et les autres membres de l'éphémère Collège de sociologie jusqu'à Lévi-Strauss, Dumont, Bourdieu et Baudrillard, en passant par les diverses branches de la théorie de l'échange social, de l'interactionnisme symbolique, de l'anti-utilitarisme et de l'anthropologie économique néomarxiste. 2 D'où vient donc, pour paraphraser Lévi-Strauss, le pouvoir extraordinaire de ces pages désordonnées, où se juxtaposent de façon si curieuse et chaotique les notations impressionnistes, un appareil critique imposant et une vaste érudition, familière des périodes historiques et des civilisations les plus diverses ? 3 Pour Lévi-Strauss, ce qui faisait battre plus vite le cœur du lecteur de l'Essai, c'était « la certitude, encore indéfinissable, mais impérieuse, d'assister à un événement décisif de l'évolution scientifique ». En l'occurrence, et à l'en croire, à l'appréhension première, malheureusement restée inachevée chez Mauss lui-même, de la variante lévi-straussienne du structuralisme symbolique. Dans cette perspective, le don – et plus particulièrement le don des femmes auquel Lévi-Strauss attribue une importance fondatrice – devient partie et fragment d'un ensemble plus vaste, englobant et inconscient, le système de l'échange généralisé, qui possède ses propres lois, bien définissables, de combinaison et de transformation. 4 Mais ce n'est là qu'une des lectures possibles – et très controversée – d'un texte dont d'autres jugent que l'étonnante fécondité résulte bien au contraire, et de manière paradoxale, de son caractère fortement impressionniste, inachevé et non systématique. C'est lui qui permet au lecteur de projeter les lectures et les interprétations les plus variées. Pour dire la même chose en termes plus positifs et moins indéfinis, il est bien possible que ce qui a le plus contribué à l'influence durable et protéiforme de l'Essai tienne au fait qu'il présente un mélange éclectique de préoccupations empiriques, théoriques, éthiques et même politiques – ce qui autorise des publics très divers à se focaliser sur les aspects du texte les mieux adaptés à leurs propres préoccupations. 5 Certains des thèmes éthico-politiques – par exemple, dans le chapitre final, l'appel à une reviviscence du don et de l'aide mutuelle au sein des sociétés modernes – doivent être replacés dans le contexte des engagements idéologiques de Mauss en son temps : la recherche d'une troisième voie entre communisme et capitalisme, la méfiance envers un communisme ou un socialisme imposé par l'état, le militantisme en faveur d'un socialisme associationniste partant de la base et privilégiant les initiatives, grass-roots dirait-on aujourd'hui [4][4] Pour une interprétation de l'Essai sur le don comme.... Mais il se trouve qu'un tel plaidoyer pour le « retour au don » résonne étrangement bien aujourd'hui encore, où la régression de l'état-providence et l'expansion galopante des idéologies et des régimes néolibéraux alimentent la quête de nouvelles formes de société civile et de philanthropie. 6 Au plan empirique, l'Essai accrédite le sentiment éprouvé par Mauss d'avoir réalisé une découverte fondamentale et d'avoir exhumé, à travers le don, un des fondements les plus essentiels ou, dans ses propres termes, un des « rocs » sur lesquels nos sociétés sont édifiées : « une forme nécessaire de l'échange, de la division du travail elle-même », impulsée par une séquence – voire par une sorte de mécanisme implacable et autoalimenté – de trois obligations (l'obligation de donner, de recevoir et de rendre). Loin d'accorder autant d'attention à chacune de ces trois obligations, Mauss fait de la troisième son objet central, ce qui lui permet, précisément, de replacer les actes de don séparés dans des séquences de don-échange plus vastes plutôt que d'en rester au don/contre-don « tout court [5][5] En français dans le texte (ndt). » 7 Cet accent important placé sur l'obligation, et même la triple obligation, qui commande le don semble situer clairement l'Essai au cœur de l'orthodoxie durkheimienne – pour qui l'une des propriétés cardinales des faits sociaux réside justement dans cette dimension d'obligation, dans leur capacité à s'imposer d'eux-mêmes et à obliger (également en ceci qu'ils éveillent identification et engagement). Mais la réinscription du don dans un modèle englobant de l'échange-don, permise par l'introduction de l'obligation de rendre, explique pourquoi nombre de lecteurs y voient une simple manière – de bon sens – de subsumer le don dans les processus de la réciprocité et de l'échange, voire dans un échange de type utilitariste et intéressé. 8 Pourtant, dès le début – et c'est sans doute là que réside le secret de son impact durable –, le texte de Mauss nous plonge dans un océan d'intuitions paradoxales, de complexités et de tensions irrésolues qui constituent autant de défis non seulement pour le sens commun mais aussi pour les catégories durkheimiennes dominantes de l'analyse sociologique.
M3 - ???researchoutput.researchoutputtypes.contributiontobookanthology.chapter???
SN - 9782707148971
VL - 27
SP - 39
EP - 56
BT - Revue du MAUSS
A2 - Silber, I.
PB - cairn
ER -